Pour_Un_Liberalisme_Encadre

Pour un libéralisme 'encadré': du rôle de l'Etat dans une société moderne

Q : Bonjour Professeur

Bonjour.

Q : aujourd’hui, quatrième volet de notre série d’entretiens, nous allons, si vous le voulez bien, aborder la question du libéralisme et, en contre point, le rôle de l’Etat ?

Que voulez-vous savoir ?

Q : La pensée dominante semble indiquer qu’en dehors du libéralisme, point de salut. Qu’en pensez-vous ?


Disons que les tenants du système, que l’on retrouve dans les deux partis politiques qui se sont succédés aux manettes de la France depuis plus de 35 ans, semblent effectivement de cet avis, à quelques nuances près.

Q : Et vous n’êtes pas de cet avis ?

De fait, comme je l’avais écrit il y a quelques années, il faut soit aller chercher du côté de l’altermondialisme et de l’extrême gauche, soit, au contraire, du côté du seul prix Nobel français d’Economie, M. Allais, pour trouver une position quelque peu différente.

Q : A savoir ?

Harribey, membre éminent d’Attac, assimile plus ou moins libéralisme et capitalisme, ce qui lui permet d’attaquer le libéralisme. M. Allais, beaucoup plus subtil – et qui me semble beaucoup plus proche de la réalité des faits – condamne, lui, une double assimilation, celle entre libéralisme et laisser-faire, et celle entre capitalisme et libéralisme.

Q : Pourriez vous préciser ces diverses notions ?

Si nous reprenons les termes de Marx, le capitalisme serait l’appropriation privée des moyens de production, ce qui s’inscrit dans la droite ligne de la pensée de Proudhon, à laquelle Allais se réfère parfois, mais que Marx critique pour sa part, « la propriété c’est le vol »

Q : Si c’est le cas, comment ne pas rejeter le capitalisme ?

Je pense, pour ma part, qu’il s’agit de bien comprendre ce que l’on appelle moyens de production. Si ces moyens de production sont réduits au sol et aux ressources fossiles, il me semble évident qu’ils doivent appartenir à la nation. Mais il y a une grande ambigüité dans ce que l’on appelle capital – comme le soulignait déjà Joan Robinson, disciple trop méconnue de Keynes.

Q : Que voulez-vous dire ?

De nos jours, les vrais ‘capitalistes’ sont, en fait, les détenteurs d’une ressource ni naturelle ni nécessairement légitimement obtenue.

Q : A savoir ?

Le capital-argent, le capital financier.

Q : Et en quoi ce capital serait illégitime, même si sa possession peut apparaître inéquitable ?

Sans reprendre les thèses ‘gauchistes’, souvent excessives, il suffit de noter que la plupart de cet argent a été créé ‘ex nihilo’, par des banques privées au bénéfice exclusif d’intérêts privés, alors que la monnaie devrait servir au développement du bien être collectif, et être émise sous le contrôle direct de la puissance publique.

Q : Donc, d’après vous, il suffirait de ‘nationaliser’ tous ces moyens de production ?

Je dis simplement que, en sus de la terre et des ressources non renouvelables – qui doivent appartenir à la nation – l’émission monétaire doit être effectuée par la puissance publique, et non par des banques privées.

Q : Et en quoi cette position est différente de celles préconisées par les experts d’Attac, ou par Sapir ou par d’autres économistes de la ‘gauche de la gauche’ ?

Les économistes d’Attac et Sapir – tenant de la ‘démondialisation’ - sont en désaccord sur tellement de points (sur l’euro, sur la Grèce, sur le rôle du FMI) qu’il est peut être osé de les ranger dans le même panier. Cela étant, je prétends que l’on peut être « anti-capitaliste » - ou, en tout cas, anti capitaliste financier – mais aussi plutôt libéral, dans un sens que je vais préciser. En fait, c’est sur la conception même de l’homme et de la vie en société que je suis le plus en désaccord avec la « gauche de la gauche »,et, pour en rester au domaine économique, sur la place du travail et des activités humaines.

Q : Vous voulez parler des rapports de production, pour reprendre la terminologie marxiste ?

Keynes, et Allais, s’intéressaient à l’amendement des rapports de production. Cet amendement passerait par la suppression des rentes non liées au travail, sans vouloir pour autant changer la nature humaine, ou les rapports sociaux. Pour ATTAC, le ‘libéralisme’ étant intrinsèquement pervers, il s’agit de développer systématiquement les droits des salariés et de diminuer leurs ‘devoirs’ - en particulier leur temps de travail -, pour "enfoncer un coin dans les mécanismes du capitalisme" (en assimilant – à tort, je pense - capitalisme et libéralisme).

Q : Nouvelle régulation, ou nouvel avatar de la lutte de classes?

Certes, la crise actuelle, comme toutes les crises, apporte davantage de souffrances aux pauvres et aux exclus du système qu'aux nantis et aux privilégiés. Et l'appel à la (re-)construction de nouveaux rapports humains est évidemment un objectif louable. Trois convictions m'empêchent cependant de partager les idées d'Attac et de m'associer à leur démarche de "lutte de classes", même revisitée.

Q : Quelles sont-elles ?

La première conviction, qui était sans doute aussi celle du père de la « main invisible » - Adam Smith – concerne ce que je crois être
Ma première conviction, c'est la dualité de l'esprit humain, son côté à la fois individualiste et social. L'altruisme, même s'il existe, n'est pas plus naturel chez les 'petits' que chez les 'puissants', l'égoïsme non plus, bien sûr. Ainsi, peu de gens sont prêts à renoncer spontanément à leurs avantages acquis, quels que soient l'importance de ces avantages.

Q : Et vous en déduisez qu’il faut laisser faire ou agir sans contraintes ces divers égoïsmes ?

Non, bien sûr, et c’est en cela que je crois qu’il faut réguler ce libéralisme, de façon à la fois acceptable et raisonnable. Et, au niveau d’un pays donné, seul l’Etat peut faire cela. C’est d’ailleurs aussi ce qu’affirmait en 2005 M. Allais dans une interview accordée au journal l’Humanité. Le prix Nobel en distinguant le ‘libéralisme’ du ‘laisser-fairisme’, justifiait ainsi son ‘NON’ à la Constitution Européenne. C’est le ‘laisser-faire’ ambiant qu’il faut rejeter, et donc l’absence de toute régulation.

Q : Et pour le reste ?

Une deuxième conviction, philosophique elle aussi, porte sur le concept de propriété. Si l'on interroge les gens qui n'ont rien, leur priorité ne sera généralement pas de demander la suppression de la propriété, mais de réclamer une partie du 'pactole', possédé, à tort ou à raison, par les nantis. On peut souhaiter que l'appropriation des moyens de production soit faite différemment - la défunte URSS ayant montré que cette appropriation collective n'était pas nécessairement très efficace, ni très 'progressiste'- , c’est ce que suggère M. Allais, de façon plus ‘soft’ que le porte-parole d’Attac. On peut certes aussi tenter de faire évoluer ce besoin de posséder, le droit d'usage pouvant se substituer au droit de possession, mais nous en sommes encore bien loin…

Q : Et pour en revenir à l’économie ?

Une dernière conviction, moins 'philosophique', porte sur le rôle des entrepreneurs.
Autant je ne crois pas à ce que les manuels appellent "productivité apparente du capital" - ni d'ailleurs à la productivité apparente du travail- autant je crois au rôle fondamental, parfois négatif, mais très souvent positif, des entrepreneurs et des chefs d'entreprise, en particulier dans le cadre des PME ou des entreprises 'familiales'.

Affirmer donc que dès qu'une entreprise génère un surplus (un profit potentiel), ce dernier doit être affecté, en tant que gain de productivité, aux salariés me semble bien naïf. Il ne s'agit pas non plus de confondre les actionnaires et les entrepreneurs, même si le capitalisme financier a donné de plus en plus de pouvoir aux premiers, au détriment des seconds. Je n'oublie pas non plus, bien sûr, le rôle des collaborateurs de l'entreprise, surtout dans le cadre d'entreprises de service, pour lesquelles les talents individuels peuvent difficilement être remplacés par des machines.

On peut se poser des questions sur l'affectation des richesses produites par les entreprises, remettre parfois en cause telle ou telle fausse richesse, exiger que les externalités négatives - pollution, épuisement des ressources fossiles, exploitation éhontée de populations entières - mais nier le rôle positif de nombre de chefs d'entreprise relève d’une idéologie archaïque.

Q : Je suppose que c’est votre côté ‘libéral’ qui vous fait parler ainsi ?

Sans doute, même si, encore une fois, libéralisme ne veut pas dire absence de toute contrainte ou de toute réglementation. Il n’y a pas de libertés sans contraintes.

Q : Ni de droits sans devoirs ?

Tout à fait.

Q : Hum. C’est aussi ce que dit l’UMP, je crois ?

Vous savez, de la même façon que certains experts de l’ultra gauche disent parfois des choses intéressantes, il ne faut pas rejeter tout ce qui vient de la droite. Elle peut dire qu’il fait jour à midi sans que l’on soit obligé d’en prendre systématiquement le contre-pied. Prenons ainsi la question de la diversité.

Q : Sujet polémique s’il en fut ?

Oui et non. Dans certains de mes ouvrages de management, j’ai écrit que la diversité pouvait être une grande chance dans les groupes de projets et dans les équipes de collaborateurs. Mais cette diversité éventuelle doit être ‘managée’, et elle n’est pas nécessairement toujours bénéfique.

Q : Pouvez vous préciser ?

On commence à savoir, par exemple, que de grandes entreprises font appel à une main d’œuvre étrangère pour peser sur les salaires des nationaux. Voilà un cas de diversité utilisée pour des fins fort peu éthiques, même si cela peut apparaître rentable à certains.

Q : Et pour la diversité positive ?

Toute équipe, toute entreprise, toute nation peut avoir besoin de sang neuf, de compétences nouvelles, lorsqu’elle ne les trouve pas en son sein. Parfois il s’agit de mieux former et de mieux éduquer ses propres forces, parfois il est nécessaire de s’ouvrir et de faire appel à d’autres. Mais, là encore, il ne s’agit pas de laisser faire, de laisser agir, et d’être simplement spectateur, ni de donner la clé du poulailler au renard.

Q : Vous suggérez d’être proactif plutôt que réactif ?

On peut le dire comme cela. Les entreprises du CAC40 savent être proactives, pour de mauvaises raisons. Ce qu’il convient de faire, pour un état qui se veut responsable, c’est d’annoncer des règles claires et nettes, compréhensibles et acceptables par le plus grand nombre, de s’y tenir et de les faire respecter. C’est vrai pour l’immigration comme c’est vrai pour le commerce international. C’est d’ailleurs encore plus vrai quand il s’agit d’être humains, et non pas de simples objets.

Q : On a pourtant souvent l’impression que les êtres humains sont traités comme des choses…

Hélas oui, et c’est un des rôles majeurs de l’état de lutter contre cet état de fait. Mais je voudrais dire encore quelques mots sur cette question de la diversité, en la recadrant par rapport au libéralisme ‘régulé’ et raisonné que je défends ici.

Q : Je vous en prie…

Comme vous savez, la mode est actuellement à la diversité, une fausse diversité d'ailleurs, puisque au lieu de s'intéresser et de mettre en valeur les différences individuelles, on s'appuie sur une diversité communautaire et sur des quotas, en collant implicitement des étiquettes à telle ou telle catégorie d'individus.

Sur le plan humain, c'est évidemment une erreur. Tous ceux qui ont travaillé en entreprise, ou animé une association, le savent bien. Les individus sont tous différents, la difficulté est de prendre en compte, le plus 'objectivement' possible, ces différences subjectives. Le véritable problème, au delà de toute idéologie, est là.

Comment prendre en compte l'individu, qui appartient nécessairement à plusieurs communautés - ethnique, comportementale, affective ... - à l'aide de règles nécessairement collectives. Cela dépasse bien sûr le cadre des entreprises, mais si le taylorisme n'est plus d'actualité dans celles-ci - puisqu'il s'agit maintenant de manager des différences, au lieu de gérer des ressemblances.

Q : Mais est-ce à l’état d’aider à ce ‘management des différences’ ?

Je le crois, c’est la seule façon de permettre aux individus de s’exprimer, sans que cela ne se transforme en un hybride bizarre, un mélange d’individualisme et de communautarisme.

Il s’agit en effet de respecter, et si possible d’intégrer, la liberté individuelle, et les talents particuliers, dans un contexte sociétal, et donc collectif. Penser que le libéralisme économique repose sur l'absence de toute règle est une erreur, qui serait comique si elle n'était si tragique par ses conséquences.

Une autre erreur, non moins tragique, est de nier la liberté individuelle, en faisant de chaque individu un clone de tous ses congénères, à l'intérieur d'une même catégorie ou communauté. Un même sac pour "les banquiers", un autre pour les "ouvriers", un autre pour les "céréaliers", etc.

Sur le plan réglementaire, on peut tenter de faire en sorte, bien sûr, que l'appartenance à telle ou telle catégorie ne soit pas un fardeau - ou au contraire un avantage - démesuré. Mais toute discrimination, même positive, liée à la seule appartenance à l'un ou l'autre de ces groupes, serait une erreur. Du moins, telle est ma conception du libéralisme: faire en sorte que l'appartenance à telle ou telle communauté ne se transforme jamais en étiquette, positive ou négative. C’est sans doute sur ce point que je suis le plus en désaccord avec les thèses collectivistes, qui continuent à fleurer la ‘lutte des classes’, et c’est aussi sur ce point que je déplore la lutte des ‘castes’, des réseaux, des groupes de pression qui constituent trop souvent la réalité politique de notre beau pays.

Q : En fait, vous proposez un état régulateur ?

L'Etat a de nombreux rôles, en dehors de ses tâches régaliennes de base. Dans le cadre social et économique, il doit instituer un certain nombre de règles, plus ou moins contraignantes, mais qui ne doivent favoriser aucune catégorie d'individus. Ce n'est pas à l'Etat de décider de tout ce qu'il faut faire, en revanche il doit afficher ce qu'il ne faut pas faire, ce qui est interdit, et veiller à ce que ces interdits soient connus, et respectés.

Il peut ainsi mettre des normes sociales, ou écologiques, ou financières, très strictes, plus fortes que celles érigées par l'Union européenne. Il peut interdire les parachutes dorés, les voitures polluantes (ce qui signifie que faire payer les pollueurs n'est pas une bonne idée, puisque cela favoriserait les 'riches', ceux qui peuvent payer, et donc qui achètent le droit de polluer). Il peut, par des mesures fiscales, plafonner les revenus, et a donc de nombreux moyens d'action. Mais l'Etat ne peut échapper à sa mission de régulateur. Ce n'est que sur l'étendue de sa mission de régulateur que l'on peut s'interroger.

En revanche l'Etat ne peut décider, à l'intérieur de ces contraintes, de la façon d'agir, sans s'en prendre aux libertés individuelles, qui, au delà du seul libéralisme, correspondent au fondement même de la nature humaine.

Q : Mais l’Etat peut-il faire cela, même si l’on peut penser qu’il faudrait le faire ?

Vous savez, si l’Etat ne peut plus le faire, on se demande bien à quoi servent encore les élections, présidentielles ou législatives.

Q : Apparemment, de plus en plus de nos concitoyens semblent s’interroger sur ce point ?

Il est vrai que l’état semble de plus en plus s’effacer devant l’Europe.

Q : Quand ce n’est pas devant certains diktats des organisations internationales ….

Vous voulez sans doute parler de l’OMC et du FMI, qui sont en train de réduire l’autorité de l’état grec à néant, en transformant le peuple grec en peuple martyr.

Il y a d’ailleurs plus grave.

Q : Que voulez vous dire ?

Derrière tous ces événements, le véritable pouvoir est celui du monde financier. Sans partager toutes les idées d’un Alain Soral – de même que je ne partage pas toutes les idées d’un Jacques Sapir – il est difficile de balayer d’un revers de main ce que Soral écrit à propos du pouvoir exorbitant des banques dans son dernier pamphlet « comprendre l’empire ».

Il est sûr, en tout cas, que sans reprise en main par l’Etat de son pouvoir régalien monétaire, tout le reste sera vain. Face à cette mondialisation financière, il faut utiliser les mêmes arguments.

Q : Et donc ne pas se tromper sur les véritables enjeux …

Tout à fait. Le capitalisme ‘classique’, celui des capitaines d’industrie, n’existe plus.

Q : Voudriez vous parler de la fin du capitalisme, voire de la fin de l’histoire ? Les prophètes en général, les Cassandre en particulier, sont rarement bien accueillis.

Cela tombe bien, je n'ai nullement l'intention de faire des prophéties. Comme chacun sait, si tout un chacun se sent capable de refaire l'histoire - parfois hélas en la récrivant plus ou moins complètement - c'est beaucoup plus difficile, voire impossible, de prévoir l'avenir: c'est bien dommage, en particulier pour tous les experts ou prétendus tels.

Certains ont cru voir dans la chute du mur de Berlin la fin de l'histoire. Ce qui est plus vraisemblable, c'est que c'est la fin d'une histoire, la confrontation bloc contre bloc, comme finalement dans toute l'histoire où se sont affrontés plusieurs empires, avec des armes similaires. Dans le conflit type "guerre froide", c'était idéologie contre idéologie, capitalisme contre communisme, libéralisme contre plan, mais surtout "muscles" contre "muscles", production (en particulier d'armes) contre production. Sur ce dernier plan, l'inefficacité notoire de la planification soviétique a fini par apparaître au plein jour: il n'y a qu'à voir la différence qu'il pouvait y avoir entre l'ex Allemagne de l'Est et celle de l'Ouest.

Le capitalisme ayant vaincu par abandon de l'adversaire, et n'ayant plus de repoussoir faire-valoir, certains ont décrété la fin de la partie. C'était sans compter sur la malice de l'histoire, et les capacités adaptatives des hommes. En effet, alors que, historiquement, le libéralisme, dans sa version la plus ancienne - celle du capitalisme industriel - était censée être liée à des pratiques démocratiques - la mondialisation allait changer tout cela.

Qui aurait pu prétendre, il n'y a guère que 15 ou 20 ans, que après 40 ans de maoïsme, la Chine allait prendre l'essor qu'elle connaît actuellement, tout en restant sous la loi d'airain d'un parti unique tout puissant. Sans être un expert de la Chine, je ne crois pas que les droits de l'homme aient progressé de concert avec la formidable expansion économique de ce pays.

Faut-il en conclure que le développement actuel de la Chine est un indicateur de ce qui attend l'ensemble du monde: un système productif efficace, mais qui semble se soucier comme d'une guigne des droits sociaux et des atteintes, parfois irrémédiables, faites à l'environnement.

Q : Après le capitalisme, quoi donc?

Après le mouvement "anti-mondialiste", transformé - avant que le ridicule ne tue cette dénomination - en mouvement alter-mondialiste - ce que tout un chacun peut admettre, dès lors qu'on peut mettre ce que l'on veut derrière, voilà qu'on annonce, ou qu'on réclame, la fin du capitalisme.

Il est malheureusement plus facile, et sans doute plus rassembleur, d'être contre quelque chose que de proposer autre chose.

A ma connaissance, je ne connais qu'une petite équipe qui s'est efforcée d'aller jusqu'au bout de ces idées 'anti-capitalistes', en proposant un système, sans aucun doute critiquable sur de nombreux points, mais intéressant, je veux parler du "sociétalisme" cher à Holbecq. Certaines de ses idées sont issues du distributisme, d'autres essaient de démonter le système monétaire 'occidental', en reprenant l'idée d'une monnaie liée à la consommation - qui a montré ses limites dans l'économie soviétique.

Q : Le capitalisme est-il réformable ?

Si l’on parle du capitalisme financier, du capitalisme essentiellement destiné à enrichir les actionnaires et leurs bailleurs de fonds, je ne crois pas. Mais gardons-nous de jeter le libéralisme avec l’eau du bain capitalisme. Il y a place à la fois pour des entreprises privées et pour l’état.

Et ce ne sont évidemment pas les ‘slogans’ – baptisés maintenant « éléments de langage » - de notre postier national ou de ses successeurs qui apporteront une quelconque solution.

Q : Que faut-il donc faire ?

Pour moi, la priorité est de faire la chasse aux revenus non gagnés, à l’idée néfaste que l’argent peut ‘travailler’ tout seul, que l’argent a un prix – alors que seul le travail et, plus généralement, les activités humaines ont une véritable valeur.

Il s’agit donc de réguler ce libéralisme afin que les avancées économiques incontestables qui lui sont liées profitent au plus grand nombre.

Q : Ce qui n’est plus le cas ?

Je pense qu’il y a des années, voire des décennies, que ce n’est plus vraiment le cas. Le pouvoir d’achat stagne en France, la misère devient endémique, et l’écart entre les plus riches et les plus pauvres ne fait que s’accroître. On constate, par ailleurs, que la sphère financière se développe au détriment de la sphère productive, et que, de plus les crises financières et bancaires sont la cause première, sinon unique, des crises économiques.

Q : si je comprends bien, vous prônez la chasse au capitalisme financier, l’euthanasie des spéculateurs ?


Comme je l’ai écrit par ailleurs, à partir du moment où l’homme et son travail sont les oubliés du système, des systèmes, et où l’on pense – comme les modèles financiers – que l’argent va à l’argent, indépendamment du contexte économique, on court à la catastrophe, économique, sociale, et politique.

Une façon de réguler le capital, c’est de le taxer, fortement, voire uniquement, et de ne pas taxer, ou très peu, le travail .

Q : Le fameux impôt sur le capital proposé par M. Allais ?

Oui. Il est faux que le ‘capital’ a un mérite en soi, qui permettrait à ses détenteurs de ‘réclamer’ son dû. Ce n’est pas seulement l’euthanasie des rentiers qu’il faut réclamer, mais l’euthanasie des investisseurs, dès lors que ces derniers pensent pouvoir retirer de leurs économies ou de leur épargne – justement ou injustement gagnée, peu importe ici – plus que ce que produit l’économie réelle.

Les modèles informatiques construits sur des théories financières abstraites ont fait perdre la tête à des pseudo-experts croyant tout connaître, ou incapables de reconnaître qu’ils ne maîtrisent plus leurs propres modèles. Que des milliards d’euros aient été perdus par des investisseurs grugés par Madof ne me semblerait qu’un juste retour des choses : croire que l’on peut gagner durablement plus que 2 ou 3 fois le taux de croissance réel de l’économie est évidemment stupide : si on est le seul, c’est possible, cela s’appelle délit d’initié, si des millions le pensent, c’est tout bonnement débile.

Mais les ravages qu’un tel scandale – ou d’autres similaires - va faire sur l’économie réelle, ou ce qui en reste, n’ont pas encore été totalement évalués. Et la question actuelle des dettes publiques de la Grèce n’en est qu’un autre exemple. Et ce n’est sûrement pas la nomination d’un ancien dirigeant de Goldman Sachs – organisation qui a spéculé contre la Grèce tout en lui vendant des propres ‘conseils’ – à la tête de la BCE qui va changer la donne.

Q : Suggérez-vous que l’on encadre les rendements ?

Je ne sais pas s’il est possible de revenir au capitalisme entrepreneurial – je ne suis pas sûr qu’il ait vraiment existé. Mais je n’ai pas la même antipathie pour celui qui va investir jusqu’à sa chemise pour mettre sur pied un projet auquel il tient que pour celui qui a confié 10 ou 20 millions d’euros à un fonds d’investissement lui ‘garantissant’ du 10%.

De même que je juge condamnable le fait de prêter de l’argent à un taux usuraire, de même je pense qu’il devrait être interdit de faire miroiter à des investisseurs potentiels des gains potentiels sans aucun rapport avec ce que l’on peut attendre de l’économie réelle. Si l’économie croît à 4%, aucun rendement ne devrait être proposé à plus du double – l’escroquerie n’étant jamais loin – aucun prêt non plus – l’exploitation étant évidemment là. Dans les deux cas, on exploite la crédulité ou la faiblesse, soit des emprunteurs, soit des épargnants. C’est sans doute moins grave à court terme pour les épargnants, à long terme les dégâts sont aussi importants.

Sur ces points aussi, je pense donc que l’Etat a son rôle à jouer. C’est à l’Etat d’instituer des règles précises, et de les faire respecter.

Q : Professeur Lemaire, je vous remercie.

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