actualite de la pensee de Maurice Allais

Sur l'actualité de la pensée de Maurice Allais.

Bonjour, pourriez vous, en quelques minutes, nous donner ce qui aurait pu être la position de Maurice Allais sur quelques grands sujets, à savoir l’euro, la réforme monétaire, la mondialisation, la construction européenne, la fiscalité, ainsi que sur la question des dettes publiques.

Hum, quelques minutes pour parcourir tous ces sujets … Mais je vais essayer

Question : de nombreuses voix s’élèvent pour faire de l’euro le bouc émissaire de la crise actuelle. Qu’en pensez-vous ?

Je ne peux que redire ce que M. Allais avait dit il y a quelques années. La création de l’euro est sûrement venue trop tôt.

Question : pourquoi cela. ?

Seuls neuf pays sur les onze initiaux (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays Bas, et Portugal) avaient une puissance économique comparable. Deux pays – et peut être 3 avec l’Irlande - n’auraient pas du intégrer à ce moment cette zone, à savoir l’Espagne, le Portugal, puis la Grèce en 2001. Quant à la Slovénie (2007), Chypre et Malte (2008), Slovaquie(2009) et Estonie (2011) …

Question : c’est facile de le prétendre après coup.

Après coup, sans doute, mais c’est ce qu’écrivait déjà M. Allais en 2005.

Question : Pensez vous alors que M. Allais aurait conseillé de sortir de l’euro maintenant ?


Ce n’est pas ce que notre Prix Nobel d’économie avait dit en 2005. A l’époque, M. Allais conseillait de prendre des mesures protectionnistes au niveau de l’Europe, ce qu’il a d’ailleurs redit en 2009. Je pense pour ma part que si des mesures protectionnistes très efficaces – sur lesquelles il ne semble pas avoir encore de véritable consensus d’ailleurs (et que l’OMC, le G20 et le FMI combattent) – ne sont pas prises à très court terme par l’union européenne, il faudra sûrement se reposer cette question, à la fois sur l’euro et sur le véritable rôle de l’Europe.

Question : je croyais que M. Allais était un libéral ? Un libéral protectionniste, n’est-ce pas contradictoire ?

M. Allais s’est toujours présenté comme à la fois libéral et social, ce qui lui permettait d’être totalement indépendant des diverses chapelles ou idéologies économiques, et ainsi de critiquer ouvertement l’organisation actuelle du commerce international. Pour Maurice Allais, la crise actuelle est très liée à l’organisation du commerce international. Il déclarait ainsi, en 2009, dans le journal Marianne :
« Le point de vue que j’exprime est celui d’un théoricien à la fois libéral et socialiste. […] Et c’est précisément à ce titre de libéral que je m’autorise à critiquer les positions répétées des grandes instances internationales en faveur d’un libre-échangisme appliqué aveuglément. La récente réunion du G20 a de nouveau proclamé sa dénonciation du « protectionnisme », dénonciation absurde à chaque fois qu’elle se voit exprimée sans nuance, comme cela vient d’être le cas. Nous sommes confrontés à ce que j’ai par le passé nommé « des tabous indiscutés dont les effets pervers se sont multipliés et renforcés au cours des années » Car tout libéraliser, on vient de le vérifier, amène les pires désordres. Inversement, parmi les multiples vérités qui ne sont pas abordées se trouve le fondement réel de l’actuelle crise : l’organisation du commerce mondial, qu’il faut réformer profondément, et prioritairement à l’autre grande réforme également indispensable que sera celle du système bancaire. »

« Les grands dirigeants de la planète montrent une nouvelle fois leur ignorance de l’économie qui les conduit à confondre deux sortes de protectionnismes : il en existe certains de néfastes, tandis que d’autres sont entièrement justifiés. Dans la première catégorie se trouve le protectionnisme entre pays à salaires comparables, qui n’est pas souhaitable en général. Par contre, le protectionnisme entre pays de niveaux de vie très différents est non seulement justifié, mais absolument nécessaire. C’est en particulier le cas à propos de la Chine, avec laquelle il est fou d’avoir supprimé les protections douanières aux frontières. Mais c’est aussi vrai avec des pays plus proches, y compris au sein même de l’Europe. »


Question : que faudrait-il faire ?

Je ne sais ce qu’aurait dit M. Allais dans le contexte actuel, mais je sais ce qu’il répétait depuis 10 ou 15 ans : il faut construire des ensembles régionaux homogènes:«
recréer des ensembles régionaux plus homogènes, unissant plusieurs pays lorsque ceux-ci présentent de mêmes conditions de revenus, et de mêmes conditions sociales. Chacune de ces « organisations régionales » serait autorisée à se protéger de manière raisonnable contre les écarts de coûts de production assurant des avantages indus a certains pays concurrents, tout en maintenant simultanément en interne, au sein de sa zone, les conditions d’une saine et réelle concurrence entre ses membres associés.
»

Question : vous voulez dire qu’il pourrait y avoir une Europe à 2 ou 3 vitesses, les pays « méditerranéens » ou de « l’Europe du Sud », éventuellement regroupés avec ceux de l’Europe de l’Est d’un côté, de l’autre les six pays ayant formé la CEE initiale, plus les pays de l’Europe du Nord ?

Avant d’adopter cette position extrême – mais qui pourrait se justifier par des écarts salariaux variant de 1 à 2 (ou à 3 dans les cas extrêmes) – je pense qu’il faudrait commencer par établir de véritables règles vis-à-vis des pays extra-européens ou les écarts de coûts salariaux sont de l’ordre de 1 à 10, voire plus encore.

Question : Quelles pourraient être ces règles ?

Il y a plusieurs pistes, l’une porterait sur les droits de douane, l’autre sur la tva, la troisième enfin sur des questions monétaires.

Question : les deux premières mesures semblent bien archaïques, voire malthusiennes

Pas du tout, je pense que si on ne fait rien, la prédiction de Maurice Allais se réalisera, :
« L’absence d’une telle protection apportera la destruction de toute l’activité de chaque pays ayant des revenus plus élevés, c’est-à-dire de toutes les industries de l’Europe de l’Ouest et celles des pays développés. Car il est évident qu’avec le point de vue doctrinaire du G20, toute l’industrie française finira par partir à l’extérieur. »
. La seule chose à espérer, c’est qu’il ne soit pas déjà trop tard.

Question. Pourriez-vous en ce cas approfondir un peu les trois mesures que vous envisagez.

La mesure la plus classique, même si je ne l’appellerai pas archaïque, serait d’augmenter les droits de douane pour les importations venant des pays à bas coût. Mais je pense qu’il serait plus efficace d’utiliser la piste de la TVA – avant même de parler de la piste monétaire.

Question. Vous n’allez quand même pas reparler de la TVA ‘sociale’, celle dont la simple mention a fait perdre 50 députés à l’UMP en 2007 ?

Pas exactement, même si Monsieur Borloo aurait mieux fait de se taire plutôt que de lancer une idée qu’il n’avait peut être pas assimilée. Ce n’est d’ailleurs pas une modification du niveau de la TVA que je défends, mais une modification de sa récupération.

Question : Que voulez vous dire ?

Comme vous le savez, les entreprises récupèrent, sous certaines conditions, la TVA qu’elles payent sur les marchandises ou services – les consommations intermédiaires - qu’elles utilisent pour leur propre production.

Question : oui, et alors ?

Pourquoi ne pas proposer que sur une TVA de 20, les producteurs locaux continuent à la récupérer en totalité, alors que les importateurs, eux, ne pourraient en récupérer qu’une partie.

Question : Pourriez vous me donner un exemple ?

C’est facile. Prenons une TVA à 20%, pour simplifier les calculs. Supposons qu’un lot de textile produit en France soit vendu hors taxe à 100, ce qui ferait 120 en TTC. L’entreprise française récupère 20.

Question. OK, et alors ?

Maintenant, supposons qu’un importateur d’un tissu analogue, mais fabriqué en Chine, amène sur le marché son produit qui aurait un prix de vente HT de 85, et donc un prix de vente de 102 (85 plus 17). Cet importateur va pousser les producteurs français à essayer de s’aligner, et donc à vendre TTC à 102. Et rien ne dit que l’entreprise française concernée pourra continuer à produire, si sa marge est ainsi diminuée de 18. Il est même fort probable que sa marge soit déjà négative.

Question. Oui, ce n’est pas nouveau, hélas. Où voulez-vous en venir ?

J’en viens à la récupération de la TVA. Pour égaliser les chances du producteur français et de l’importateur, on pourrait déjà décider que l’importateur, au lieu de récupérer 20% de son prix HT (c’est-à-dire 17) n’en récupère que 2, ce qui correspondrait, pour lui à un coût de 100 – comme celui du producteur local.

Question : Et si ce coût, ou ce prix, de 100 était déjà rentable pour l’importateur ?

Cela peut arriver, mais n’oublions pas que si les coûts salariaux représentent une bonne part du prix de revient, il faut aussi prendre en compte les coûts de transport. Quoiqu’il en soit, on peut aller plus loin encore.

Question. Comment. Vous n’allez quand même pas jusqu’à suggérer une ‘récupération négative’ ?

Mais si, bien sûr, et bravo pour cette expression. On a parlé de croissance négative, d’impôts négatifs, pourquoi pas une récupération négative de la TVA, si on est obligé d’en arriver là. Cette non récupération, voire cette récupération négative, aurait d’ailleurs un autre avantage que celui de rendre plus compétitifs les produits ‘made in France’.

Question. Ah oui, quel avantage ?

Celui de regarnir les caisses de l’état de plusieurs milliards, voire d’une ou deux dizaines de milliards d’euros, vu l’importance actuelle des importations françaises venant des pays asiatiques.

Question. Pourrions nous maintenant aborder la piste monétaire, ce qui nous permettra d’aborder ensuite le fameux « 100% monnaie » dont on parle périodiquement ?

Bien volontiers, d’autant plus que M. Allais, depuis bientôt 20 ou 30 ans, a toujours pensé que sans quatre réformes majeures de l’environnement international les crises économiques – dont la crise actuelle dont nous sommes très loin d’être sortis – ne pourront que se reproduire, sinon s’aggraver.
Il a ainsi écrit, fin 1999, à propos de la crise japonaise, en condamnant en particulier la contradiction fondamentale entre une libération totale des mouvements de capitaux à court terme et l'autonomie des politiques monétaires nationales. :
« la presque totalité des difficultés actuelles résulte d'une part d'une méconnaissance totale des conditions monétaires et financières d'un fonctionnement efficace et équitable d'une économie de marchés, et d'autre part d'une structure inappropriée des institutions bancaires et des marchés financiers. »


Question : Quelles seraient ces quatre réformes ?

Elles concernent la réforme du système monétaire et financier, celle de l'indexation, celle des marchés boursiers, et enfin du système monétaire international. Mais, faute de temps et de place, nous ne parlerons ici que du système monétaire international et du système monétaire et financier, deuxième point qui sera abordé à propos du « 100% monnaie ».

Question : Et quid du système monétaire international ?
Maurice Allais souhaitait l’instauration d’un nouveau « Bretton Woods » , et en particulier :
1) l'abandon total du système des changes flottants;
2) la fusion en un même organisme de l'Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international;
3) des taux de change assurant un équilibre effectif des balances des paiements;
4) l'interdiction de toute dévaluation compétitive;
5) l'abandon total du dollar comme monnaie de compte, comme monnaie d'échange, et comme monnaie de réserve sur le plan international;
6) la création d'organisations régionales;
7) l'interdiction pour les grandes banques de spéculer pour leur propre compte sur les changes, les actions, et les produits dérivés;
8) et finalement l'établissement progressif d'une unité de compte commune sur le plan international, par un système approprié d'indexation.

Vaste programme…

Permettez-moi de détailler particulièrement deux de ces mesures, les mesures 3 et 7. La mesure 3 me permettant de revenir sur la question des équilibres entre nations, et la mesure 7 étant aussi relative au rôle des banques et au « 100%monnaie » que nous aborderons un peu plus tard.

De fait, les déséquilibres commerciaux peuvent être abordés de plusieurs façons, mais correspondent toujours à un problème de compétitivité, relatif ou absolu, artificiel ou réel.

Question : Pouvez-vous préciser ?

Supposons que le monde se réduise à deux seuls pays, dont les échanges commerciaux seraient déséquilibrés, disons la France et la Chine, la France exportant en euros, et important en yuans (ou en « renminbi », pour les puristes), la Chine exportant en yuans et important en euros.

Question : Comment peuvent-ils faire, sans monnaie commune ?

C’est l’un des points de réforme que soulevait M. Allais. Mais supposons, pour simplifier, que l’on décide que le taux de change entre l’euro et le yuan soit fixé d’un commun accord entre la France et la Chine (ce n’est hélas jamais le cas, et cela se complique encore quand il y a plusieurs pays, mais laissons là ce point, pour le moment), et que un euro soit considéré comme valant 10 yuans.

Supposons maintenant que les exportations françaises vers la Chine soient de 50 milliards d’euros, et que les importations françaises soient de 600 milliards de yuans, soit 60 milliards d’euros – à la valeur acceptée par les deux pays. Que va-t-il se passer.

Question : je suppose que la France va s’endetter pour couvrir ce déficit?

En fait, ce n’est pas directement la France qui va avoir un problème financio-monétaire, ce sont ses entreprises. Mais c’est l’idée. En tout cas le déficit commercial français va être de 10 milliards d’euros.
Si c’est un déficit passager, cela n’est pas trop grave, mais si ce déficit persiste, il n’y a pas beaucoup de solutions.

Question : Quelles sont-elles ?

Il n’y en a guère que trois, d’un point de vue financier ou monétaire, et un quatrième, en termes purement ‘commerciaux’.

a) Les importateurs français, qui achètent en yuans, vont exercer une forte demande sur cette devise, qui devrait donc s’apprécier par rapport à l’euro, la monnaie ‘locale’ des importateurs français. Mais la Chine peut fort bien ne pas accepter cette réévaluation de fait de 20% du yuan, même si, théoriquement, en système de change flexible, cela devrait se faire automatiquement. Rappelons que M. Allais est contre ce régime de changes flottants (mesure n°1 d’un nouveau Bretton Woods)

Si nous considérons maintenant que la France et la Chine sont deux grosses entreprises « nationalisées », le raisonnement est plus simple encore, et il ne va plus rester que deux solutions (en dehors de l’ajustement monétaire éventuel):

b) La France va demander et obtenir un prêt de 10 milliards d’euros à la Chine.
c) La France va vendre une partie de son patrimoine (Tour Eiffel, usines, …) à la Chine (on a bien imaginé que la Grèce pouvait vendre l’Acropole à des financiers étrangers pour tenter d’éponger quelque peu sa dette publique…)

d) Une dernière solution – difficile à imaginer en situation de libre-échange, mais possible dans le cadre d’un certain protectionnisme – serait de limiter autoritairement les importations – par exemple en les taxant très fortement. Ce qui serait une méthode ‘moderne’ de revenir au troc entre nations.

Question : Vous parlez d’une dette possible de la France envers la Chine. Mais que se passerait-il si la France accumulait ses dettes et ne pouvait pas rembourser ?

On serait dans la situation actuelle de la Grèce. Ce qui ne peut se terminer que de deux façons. Soit, miraculeusement la Grèce retrouve une très forte compétitivité pour redevenir exportatrice nette – ce qui semble impossible, en tout cas sans mesures de protection très fortes de son marché intérieur-
Soit la Grèce refuse d’honorer ses engagements, et déclare sa dette publique nulle et non avenue.

Question : La Grèce pourrait-elle faire cela ?

C’est bien ce que l’Argentine a décidé de faire en 2001. Et, après quelques années de flottement, l’Argentine s’en sort plutôt bien, avec un taux de croissance très supérieur à celui de la zone euro. Mais, à l’intérieur de la zone euro, ce type de décision extrême – répudiation de la dette – semble bien difficile à prendre.

Question : suggérez-vous que la Grèce va être obligée de sortir de l’euro?.

Je ne vois pas comment la Grèce peut faire sans cela. Mais elle devra aussi décréter un moratoire, provisoire ou définitif, sur sa dette publique. Répudier sa dette, ou se décréter en faillite, n’est évidemment pas la meilleure solution pour bénéficier par la suite de prêts extérieurs, mais conduire son propre peuple au désespoir n’est pas non plus très enthousiasmant …

Question. Effectivement. Mais revenons, si vous le voulez bien aux positions de M. Allais sur la monnaie ?

Très bien. Mais nous ne sous sommes pas vraiment écartés du sujet. De la même façon que M. Allais a souvent traité les banquiers de faux-monnayeurs, il aurait aussi pu traiter certaines banques d’affaires d’escrocs, comme la banque, rivale de Lehman Brothers, qui a aidé la Grèce à trafiquer ses comptes publics tout en misant sur sa faillite future.

Venons-en donc au 100%monnaie, qui n’est qu’une façon lapidaire de dire qu’il faut redonner aux autorités publiques le pouvoir régalien qu’elles n’auraient jamais dû abandonner, à savoir le droit et le devoir d’être les seuls à ‘battre monnaie’.

Question : Oui, pouvez vous préciser ce « 100% monnaie », qui passe un peu pour l’arlésienne, depuis le temps qu’on en parle … ?

Il est vrai que I. Fisher, en 1935 en parlait déjà, et que cette idée a été développée et enrichie par M. Allais dès 1975 :
« L’essence du plan « 100% money » est de rendre la monnaie indépendante des prêts, c’est-à-dire de séparer le processus de création et de destruction de monnaie du processus de prêt aux affaires. Un sous-produit tout à fait incident serait de rendre l’activité bancaire plus sûre et plus profitable ; mais de loin le résultat le plus important serait de prévenir les grands » booms » des affaires et les profondes dépressions en mettant fin aux inflations et aux déflations chroniques qui ont toujours constitué la grande calamité de l’évolution économique de l’humanité et qui ont été généralement suscitées par le système bancaire…


Question. Et vous pensez que cette position serait encore valable 35 ans plus tard ?

Non seulement je pense que ce serait encore la position de M. Allais – qui en a reparlé en 2009, peu de temps donc avant sa mort - mais je suis sûr que la seule façon de réguler actuellement les flux monétaires serait effectivement d’interdire aux banques de pratiquer deux métiers qui auraient du rester complètement différents. Le métier de gestionnaires de monnaie (banques de dépôts), et celui de gérants ou de transformateurs d’épargne.

Question : pouvez vous préciser ?

Les banques de dépôts ne devraient être autorisées qu’à gérer la monnaie émise par la banque centrale, et qui transiterait par les comptes courants de leurs clients.

Question : Ces banquiers de dépôts seraient en quelque sorte de simples comptables de l’argent de leurs clients ?

Disons que ce serait des comptables et des gardiens, mais sans aucun pouvoir de faire circuler plus d’argent qu’ils n’ont dans leurs coffres : d’où l’expression 100% monnaie.

Question : Et ce n’est pas le cas actuellement ?

Nous en sommes loin. On considère généralement que les prêts accordés aux clients des banques sont dans un rapport de 5 ou 6 à 1 avec la monnaie de base, la monnaie ‘centrale’ la « vraie monnaie » que la banque centrale a réellement émise. Ce rapport est aussi appelé « multiplicateur monétaire ».

Question : En fait, cela semble signifier qu’il serait interdit à ce type de banques d’accorder des prêts. M. Allais serait-il contre les prêts ? Il me semble pourtant qu’ils sont utiles au développement économique.

M. Allais n’est évidemment pas contre les prêts. Certains prêts sont utiles, lorsqu’ils correspondent à des anticipations de croissance, dans le domaine de l’économie réelle, dans le cadre d’une extension de la production de richesses, pour favoriser la production de biens et services. En revanche, ils sont non seulement inutiles, mais nuisibles lorsqu’ils sont essentiellement utilisés pour spéculer sur les marchés boursiers, ou sur les marchés dérivés.

Question. Comment alors financer les prêts ‘utiles’ ?

M. Allais propose une deuxième catégorie de banques, des banques dites d’affaires, dont le métier sera de ‘transformer’ l’épargne en possibilités de financement. Mais cette transformation ne doit pas se faire n’importe comment.

Question : Que voulez vous dire ?

Il est essentiel que les opérations de prêt soient assurées par ces banques de prêt ou d’affaires sous la condition essentielle que ces banques empruntent à terme (par exemple à 10 ans) pour prêter à plus court terme (par exemple à 8 ans). L’assurance vie pourrait être un bon exemple de ce type de transformation.

Question : Je comprends la possibilité de ‘transformer’ l’épargne, les économies existantes, pour financer de nouveaux investissements. Mais si cette épargne est insuffisante ?

Ce n’est que dans ce cas, très précis et limité, qu’il faudra créer de la monnaie supplémentaire. Et cette création monétaire sera du seul ressort des aux autorités publiques, par exemple de la Banque de France remise en situation de le faire.

Question : Mais la France a-t-elle le droit de procéder ainsi, indépendamment des décisions et des traités internationaux ?

Non, mais la France étant un état souverain, peut décider - et se faire accompagner pour cela par d’autres pays européens – de changer les dispositions actuelles pour redonner aux pays qui le souhaiteraient cette possibilité de souveraineté monétaire. Mais, j’en conviens aisément, ce ne sera pas facile, alors même que cela apparaît indispensable.

Question : il me semble que Maurice Allais a aussi fait des propositions dans un domaine qui devrait concerner tout le monde, à savoir la fiscalité ?

Vous avez tout à fait raison. M. Allais a écrit à maintes reprises sur ce sujet, son ambition étant de rendre la fiscalité à la fois efficace, compréhensible, et aussi acceptable que possible par l’ensemble des contribuables ?

Question : Une fiscalité ‘acceptable’ ! vous voulez dire une fiscalité ‘juste’ ?

La ‘justice’ ou l’équité est une notion qui demanderait à être explicitée, et sur laquelle il n’est pas forcément évident d’avoir un consensus. Ce qui est sûr, c’est que M. Allais, de même qu’il a fait la chasse aux faux-monnayeurs, s’inscrit plus généralement dans une perspective de chasse aux revenus indus, aux revenus non gagnés.

Question. Que voulez vous dire par revenus ‘indus’ ou ‘non gagnés’ ?

M. Allais, en tant que libéral, pense que ceux qui produisent ‘méritent’ une rémunération. Mais ceux qui ont pour seule qualité d’être rentiers ne ‘méritent’ pas d’être rémunérés pour la seule raison qu’ils auraient bénéficié d’un héritage.
Question : si je comprends bien, Allais serait comme Marx, il récompenserait le capital ‘variable’, le travail, mais pas le ‘capital constant’, ou capital ?
Effectivement, sans aller jusqu’à prétendre que Allais était marxiste, ou marxien, notre Prix Nobel d’économie fait une distinction, trop souvent oubliée, entre capitalisme et libéralisme. Cela étant, M. Allais propose de simplifier la fiscalité française de façon drastique, en ne conservant plus que trois impôts, au lieu des dizaines d’impôts et de taxes actuelles.

Question : et ces impôts simplifiés rapporteraient autant qu’actuellement ?

Oui, et sans doute plus encore si l’on considère que certains impôts coûtent parfois plus à récupérer – du fait des fraudes ou des erreurs commises dans leurs recouvrements – qu’ils ne rapportent vraiment.

Question : Et quels seraient ces trois impôts?

Seul un impôt est vraiment nouveau, il s’agit d’impôt sur le capital. Il remplacerait à lui tout seul presque tous les autres impôts, dont l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés …Là encore, on retrouve une grande idée de M. Allais : taxer les choses, pas les gens, taxer le capital, pas les revenus du capital. Avec un taux de 2% sur le capital, M. Allais montre que cela correspond à 8% du revenu national, soit environ 7% du PIB.

Question : Et comment fonctionnerait cet impôt :


Il serait basé sur de simples déclarations, mais s’appliquerait à tout le capital possédé, machines, immeubles ou terres. Pour les œuvres d’art, la question reste ouverte.

Question : sans remettre en cause les calculs de M. Allais, est-ce que cela signifie que c’est à chacun d’évaluer ses propres biens ?

Tout à fait, c’est l’idée. Ainsi, si vous habitez une maison que vous évaluez à 500 000 euros, vous devrez payer chaque année, avec un taux de 2%, 10 000 euros d’impôts.

Question : Et si je déclare qu’elle n’en vaut que 300 000, pour payer moins ?

Sans faire appel à votre sens civique – que M. Allais ne présuppose pas, même si c’est votre cas – il est évidemment prévu un garde-fou.

Question : A savoir ?

Toutes les déclarations seront publiques. Et, comme pour les marchés publics, n’importe qui pourra surenchérir, avec une certaine surcote, par exemple de 70%. Ainsi, dans votre cas, si vous prétendez que votre maison ne vaut que 300 000 euros, en surenchérissant de 70%, soit 510 000 euros, vous serez obligé, soit d’accepter de vendre votre bien à ce prix, soit de payer une amende, par exemple de 4%, sur la différence entre votre estimation de départ et les 510 000 euros « du marché ».

Question : Effectivement, cela risque de refroidir les petits malins. Mais est ce que cela ne va pas pénaliser les ménages modestes, non assujettis à l’impôt sur le revenu, et qui n’ont pour seul bien que leur logement ?

Sur ce point, vous avez raison. C’est pour cela qu’une mesure complémentaire pourrait être envisagée.

Question : Ah oui, votre fameuse allocation d’existence ?

Effectivement. J’ai en effet proposé – comme d’autres d’ailleurs, sous des noms éventuellement différents - qu’à côté des revenus «gagnés’ individuellement, en tant que contribution à la production actuelle ou future de richesses chaque français puisse bénéficier d’un dividende social dû à la richesse collective. Sans entrer dans les détails, et si je reprends l’exemple d’une famille modeste d’un couple ayant 2 enfants, le dividende social – ou allocation universelle - que ce couple percevrait serait de l’ordre de 25 000 euros par an, c’est-à-dire largement plus que les impôts qu’il devrait payer au titre d’impôt sur le capital.

Question. Soit. Et quid des deux autres impôts?

Le deuxième impôt est déjà connu, c’est la TVA, que M. Allais propose d’être d’un seul niveau, mais ce point n’est pas essentiel.

Question : Et le troisième impôt?

Le troisième est simplement lié à la récupération de la souveraineté monétaire par l’état, ce qui devrait, là aussi rapporter un montant non négligeable aux finances publiques, de l’ordre de 3% du PIB, au lieu de laisser cette manne aux banques privées.

Question : Sans oublier ce que vous avez dit sur la « récupération négative de la TVA » ?

Tout à fait.

Monsieur le Professeur, merci d’avoir ainsi bien voulu préciser la position de M. Allais sur les grands problèmes économiques de notre temps, en montrant que les solutions proposées restaient d’actualité.

Je voudrais juste préciser un dernier point, à propos de la fusion proposée (par M. Allais) de l’OMC et du FMI, sachant que certains ont proposé de supprimer le FMI, compte tenu du rôle néfaste qu’il a pu jouer depuis sa création.

je vous en prie…

Je pense que le rôle du FMI doit être profondément modifié, mais qu’il ne doit pas nécessairement en être pour autant supprimé. Le rôle ou l’objectif principal du FMI - si ce n’est pas le cas c’est du moins ainsi qu’il apparaît – est de conditionner son aide éventuelle – prêt direct ou indirect d’argent permettant de rééchelonner les pays plus ou moins lourdement endettés - à une politique d’austérité rendant le plus souvent exsangues les pays ainsi ‘aidés’ (le Portugal et la Grèce en étant les derniers exemples).
Au lieu de cela, il faudrait fixer pour objectif au FMI d’aider les différents pays menacés par une détérioration de leur économie et de leur compétitivité à se regrouper en zones régionales de compétitivité comparable. Cela permettrait ainsi à ces groupements ‘régionaux’ pays au niveau social et économique comparable de rééquilibrer leur commerce extérieur et leur compétitivité, autrement qu’en mettant une pression insupportable sur les salaires et le pouvoir d’achat.

Question : Ce qui peut être plus facile si le FMI et l’OMC travaillent ensemble, ou fusionnent ?

Tout à fait.

Commentaires

  1. @Bruno Lemaire
    1. protectionnisme: Le mauvais entrepreneur produit plus cher que le marché. Une autre production l'aurait enrichit. Une taxe sur ses produits appauvrit les acheteurs français, et enrichit le mauvais entrepreneur, mais pas ses salariés. Pourquoi un tel choix?

    2. Le 100%money consiste, in fine, à interdire à la BNP d'avoir des dettes envers ses clients. Quelle raison théorique voyez-vous d'interdire à une telle entreprise d'avoir des dettes?

    3. Système monétaire international: Quel bien, quel panier de biens, servira d'unité de compte?

    4. le FMI prête aux État endettés, au bord de la faillite. Sans FMI, qui leur prêtera?

    5. impôt sur le capital. Publier chaque élément de sa fortune attire les kidnappeurs et rend triste les jaloux. Pourquoi cette obligation de transparence de la vie privée de chacun?

    6. Toute taxe entraine une réaction du contribuable qui produit moins. Toute subvention entraine des resquilleurs et des fraudeurs. A quel coût évaluez-vous des deux comportements?

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  2. Bonjour gdm, et merci de m'inciter à préciser plus encore ce que je pense avoir été la position de Maurice Allais. Cela va me permettre aussi de montrer l'actualité de ces positions, à la fois "ici et maintenant", mais aussi pour l'avenir.

    Je vais tout d'abord répondre sur les trois premiers points que vous mentionnez. Un autre commentaire s'attaquera aux trois derniers points, "si Dieu me prête vie".

    1)Sur le protectionnisme. Je pense que Maurice Allais a répondu sur ce point. Le protectionnisme, en soi, n’est ni bon ni mauvais. Il y un protectionnisme raisonnable, et un protectionnisme déraisonnable. La compétition est bonne en soi, mais de même que vous ne me ferez pas courir le 100m contre Bolt – ou même contre Lemaître – vouloir que les entreprises de textile françaises – s’il en reste encore – luttent à armes égales contre les entreprises chinoises est une vue de l’esprit. C’est aussi pour cela que M. Allais souhaitait créer des zones régionales de compétitivité comparable. On peut être libéral sans être extrémiste …

    2)Sur le 100% monnaie. Vous prétendez que les prêts consentis par la BNP à ses clients, à partir de fonds qu’elle ne possèderait pas, sont ‘simplement’ des dettes de la BNP, laissant ainsi entendre que c’est la BNP qui prend des risques, pas ses clients. Sur le plan formel, cela se discute, sur le plan concret, vous savez fort bien que ce sont les clients de la BNP – puis l’économie française dans son ensemble – qui prennent le véritable risque, puisque l’Etat couvrira toujours l’éventuel risque de solvabilité des banques.

    3)Sur le système monétaire international, la question est plus délicate. M. Allais réclamait un nouveau « Bretton Woods », dont une mesure aurait été la construction d’une unité de compte ‘internationale’ non basée sur le dollar, ni sur l’or. On peut imaginer une conférence mondiale, qui se réunirait à une périodicité donnée, par exemple tous les 5 ans, qui fixerait le poids respectif des diverses monnaies ‘locales’ dans ce panier, en fonction de l’évolution respective des zones monétaires locales, aucune dévaluation ou réévaluation ne pouvant avoir lieu entre deux. L’OMC et le FMI pourraient veiller ensemble à ce qu’il y ait le moins possible de déséquilibres commerciaux entre les différentes zones monétaires, sachant qu’à l’intérieur de chaque zone à peu près homogène les ‘lois’ de la compétitivité (et du marché) fonctionneraient ‘normalement’.

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  3. rebonjour gdm, je m'attaque maintenant à vos trois autres questions ...

    4) Les conditions sous lesquelles le FMI prête ne peuvent que conduire le pays ‘bénéficiaire’ à une plus grande dépression encore. Même si ce pays finit par régler ce nouveau créancier – ce qui n’est pas sûr d’ailleurs – il finira exsangue. En fait, dans la situation actuelle, on pourrait presque penser que le FMI vient au secours de pays moribonds pour les achever. Comme l’a dit un économiste dernièrement sur les plateaux de i-télé, le FMI et Bruxelles s’efforceront de sauver l’euro jusqu’à la mort … du dernier grec.
    Sur ce point, je conseillerais donc à la Grèce de répudier sa dette, et de se replier sur ses propres compétences économiques, quitte à commercer avec des pays plus proches de son propre niveau économique et social. Pas facile quand on est un petit pays, c’est vrai, la Grèce n’a pas les mêmes ressources que l’Argentine. Elle finira par trouver d’autres créanciers, et/ou à rebattre monnaie elle-même.

    5)Sur l’impôt sur le capital, je pense que vous n’avez pas bien compris la position de M. Allais. Il ne s’agit pas de publier chaque élément de sa fortune, mais uniquement des biens ‘capitaux’, ‘immobiles’, qui se voient. Cela n’a rien à voir avec la vie ‘privée’, il ne s’agit nullement d’évaluer des biens mobiliers. Libre à chacun, s’il le souhaite, de dévaloriser ces biens ‘immobiliers’. A ses risques et périls. J’ai du mal à imaginer que les kidnappeurs seront favorisés par une telle mesure. Quant aux jaloux, cela ne changera pas grand-chose. Avez-vous songé à kidnapper les directeurs ou les PDG du CAC 40 ?

    6) Sur les taxes, il y aura beaucoup moins de taxes qu’avant, donc moins de fraudes possibles. Je ne suis donc pas sûr de vous suivre sur ce point.

    cordialement, Bruno Lemaire.

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  4. @Bruno Lemaire
    1) protectionnisme: L'argument de Allais ne répond pas à mon objection. L’État aide les entrepreneurs parce qu'ils ont choisit de produire un textile non rentable. L'entrepreneur refuse donc d'autres productions rentables. Produire en sachant qu'on est déficitaire et soit de la mauvaise gestion, soit une chasse aux subventions. Une subventions aux producteurs déficitaires est donc un total gaspillage.

    Une taxe sur les importations appauvrit les consommateurs. Le gain pour l’État est plus faible que l'appauvrissement de la population. Il en résulte une perte sèche pour le pays. Un État qui veut à enrichir la population, cessera le protectionnisme.

    2) 100%money: Un "prêt bancaire" n'est pas un prêt au sens du prêt d'un bouquin qu'on rendra à son propriétaire. Un "prêt bancaire" de la BNP n'est donc pas un "prêt". C'est un échange de créances négociables entre la BNP et l'emprunteur. Votre syllogisme prétend que la BNP prête de l'argent qu'elle ne possèderait pas. Ce syllogisme est, amha, formellement inexact. La BNP est "propriétaire" de sa promesse de livrer un euro. L'emprunteur devient "propriétaire" de cette promesse de la BNP. La BNP donne à l'emprunteur des promesses de la BNP. La BNP ne prétend rien d'autre.

    La BNP emprunte, à la Banque Centrale, les liquidités légales obligatoires. La valeur des créances sur les emprunteurs est supérieure à la valeur des promesses de la BNP. En ce sens, la BNP est solvable. La question est ainsi la liquidité, et non pas la solvabilité de la BNP. C'est essentiellement différent.

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