Petit modèle explicatif des variations monétaires

Ce petit modèle explicatif des variations monétaires 'hors spéculation' peut être vu comme un complément, une annexe, au billet précédent portant sur les soubresauts du système monétaire et les fausses solutions prises au cours du sommet du G20 du 2 avril 2009

La plupart des livres sur la monnaie ne s'intéressent pas vraiment à la question de la croissance de la production, ni d'ailleurs à celle de la production elle-même. Leurs auteurs se contentent le plus souvent soit de rester à un niveau très global, en mentionnant la théorie quantitative de la monnaie, soit de montrer comment la modification du bilan de la banque prêteuse et du bilan de l'emprunteur correspond aux émissions ou aux retraits de la monnaie-argent.

Bien qu'étant un tantinet 'comptablophobe', je n'ai jamais mis en doute que le bilan devait être équilibré, par nature même de la comptabilité en partie double, et le fait que actif et passif soient égaux ne me surprend pas vraiment.

Il est certes très intéressant de savoir que face aux créances, portées à l'actif de la banque, il y a le dépôt à vue correspondant, au passif de la dite banque: mais le problème que je veux soulever n'est pas là. Il est à la fois plus 'simple' et plus fondamental.

L'idée sous-jacente à mon interrogation, et donc à l'élaboration du modèle qui va suivre, porte sur le besoin de monnaie supplémentaire en cas de croissance de la production. Je vais essayer de montrer que si la monnaie ne croît pas à la même vitesse que la production, c'est soit qu'il y a des 'fuites', soit qu'il y a des modifications de comportement intéressants à analyser.

Les emprunteurs empruntent par 'nécessité' (ce peut être pour spéculer, mais même en dehors de cela, je vais tout d'abord supposer que cet emprunt est lié à l'économie 'réelle', production, consommation, épargne, investissement) En cas de croissance de la production, on peut déjà subodorer que c'est parce qu'il y a croissance: dans le cas contraire, une production supplémentaire conduirait à une baisse des prix.

De plus, comme nous allons nous intéresser à des variations dans le temps, à la fois de la production, des échanges, et de la masse monétaire, il peut sembler logique d'introduire le temps – que nous allons supposer ici 'discret' (non continu).

Je précise, par ailleurs, deux hypothèses supplémentaires, pour éviter de lancer le visiteur sur une fausse piste, la question portant essentiellement, je le rappelle, sur le problème de l'augmentation éventuelle des demandes de monnaie (donc aussi de l'offre de la dite monnaie, puisque les banquiers sont censés être au service des emprunteurs potentiels).
 
1)La population est stable (autant de décès que de naissances, si vous préférez)
2)On ne paye pas d'intérêts sur les emprunts (je sais, c'est pas vrai, mais cela le sera peut être un jour ;-) )
 
De fait, dans la plupart des nombreuses discussions que j'ai eu ces derniers mois avec diverses personnalités ou experts de la question monétaire, nous avons essentiellement échangé sur le type de monnaie souhaitable, voire sur la question de la création, ex nihilo ou pas, de la monnaie scripturale. Mais je dois reconnaître que, ce faisant, nous n'avons sans doute pas évoqué suffisamment un autre problème crucial – et sans doute prioritaire - celui des raisons de cette émission monétaire.
 
De fait, les rares modèles qui parlent à la fois de monnaie et de croissance sont essentiellement statiques, ou 'tangents' à des modèles statiques.

Venons en donc à notre modèle, très simple, et quasiment qualitatif, à l'arithmétique rudimentaire, en introduisant deux hypothèses simplificatrices supplémentaires.

3) les agents économiques sont au nombre de 10 (afin de faciliter les calculs, en système décimal)
4) Ces agents ne font des échanges (ils vendent, achètent, consomment) qu'à la fin de la période de production.

Supposons enfin, dans une première approche, que cette période est de 1 mois, et que les 'agents économiques' produisent chacun l'équivalent de 1000 unités de compte (pour faire plaisir aux tenants de la valeur-travail, je peux même supposer qu'ils travaillent le même nombre d'heures dans le mois).

Le dernier jour est consacré à la vente de leur production respective, à l'achat des biens qui vont servir à leur consommation (la dite consommation peut s'effectuer ce même jour - peu crédible - ou tout au long du mois suivant, peu importe ici, si l'on suppose que les biens sont uniquement des biens de consommation, extraits de la nature sans investissements, pour ne pas trop compliquer. On pourrait certes le faire, l'économiste Solow, avant d'être sacré prix Nobel, s'y ait essayé avec ses générations d'équipements, ses 'vintages').

Le PIB mensuel, en unité de compte, est donc égal, par hypothèse, à 10000. Je vais supposer qu'un comptable philanthrope (autre nom pour un banquier) va émettre 10 000 unités de compte, va les prêter pour la journée, à raison d'un paquet de 1000 par agent économique.

La création monétaire (pendant une journée) est donc égale à 10000, la destruction monétaire, à la fin de la journée, est aussi de 10000 (rappelons que le comptable étant philanthrope, il ne demande rien). Donc plus de monnaie pendant le reste du temps. La monnaie n'a existé que le temps du marché.
 
Supposons maintenant qu'il y a une modification des habitudes de consommation et d'échange: les conditions de production restent les mêmes, mais maintenant les échanges - le marché - ont lieu deux fois par mois.

Le PIB bi-mensuel est maintenant de 5000, les besoins monétaires (deux jours par mois) vont être de 5000 (au lieu des 10000), même s'ils disparaissent à la fin de chacun de ces 2 jours de marché. La monnaie n'existe toujours que le temps du marché.

Pour ceux qui aiment les modèles concrets, on pourrait supposer que chaque échangiste arrive le matin avec sa monnaie-argent (correspondant à l'évaluation de sa production) autour du cou (ce peut même être un collier genre ClubMed qui lui aura été attaché le matin par notre comptable, gentil organisateur s'il en fut). Il rendra à ce gentil comptable un collier de même valeur (mais avec des perles venant des 9 autres producteurs) à la fin de la journée de marché. Les colliers seront alors détruits (si l'on veut qu'ils ne servent qu'une fois), ou garder dans le coffre du comptable, si l'on veut éviter le gâchis 'écologique'.

Bien sûr, chacun doit voir maintenant où je veux en venir...

Supposons donc, finalement, que les échanges aient lieu 10 fois par mois (tous les 3 jours: toujours pour faciliter les calculs).

Le PIB 'tri-days' va être de 1000, la masse monétaire nécessaire aux échanges sera elle-même de 1000, elle sera 'créée' tous les 3 jours, au début de chaque jour de marché, et sera détruite à la fin de chacun de ces jours (oui, oui, j'ai supposé qu'il n'y avait aucun Harpagon, que toute la monnaie émise était utilisée, et retournait donc au bercail, ou dans le coffre, de notre comptable philanthrope).

Quelle est la morale de cette fable?

Oh, elle est toute simple. Elle signifie que, à conditions technologiques égales, supposées constantes, une modification des conditions d'échange (le nombre de jours de marché dans le mois) modifie les besoins de monnaie.

Cela a donc nécessairement une influence, soit sur la vitesse de circulation de la monnaie, soit sur la quantité de monnaie elle-même (et je n'ai même pas introduit la question de la thésaurisation pour cela). C'était évident ?...Peut -être, mais vis à vis de mes quatre questions fondamentales de toute réforme monétaire, qui s'écrivent comme suit:
1) Qui émet,
2) Combien on émet
3) Pourquoi on émet
4) Qui contrôle,
ma petite fable impacte pour le moins les points 2 et 3.

Autre complication: à côté des besoins monétaires - satisfaits ici par notre comptable philanthrope - on pourrait imaginer qu'une partie des échanges se fait 'hors monnaie', par simple accord entre participants (Certains experts appellent cela du 'Crédit Mutuel' – on peut aussi appeler cela du 'crédit fournisseur' d'un point de vue purement entrepreneurial: cela se fait en Suisse, avec l'expérience WIR).

Si nous supposons donc que la moitié des échanges se fait 'hors comptabilité philanthrope', les besoins monétaires vont être divisés par deux.

Là encore, j'insiste sûrement lourdement (c'est sans doute par candeur, ou en tant que nouvel initié tentant de dévoiler les 'mystères' de la monnaie), on voit ici que des pratiques nouvelles entre entreprises ont elles aussi une influence sur les besoins monétaires.

Là encore, cela affecte les questions 2) et 3), Combien et Pourquoi. Ne parlons même pas de la difficulté d'ajustement et de contrôle.

La morale de la morale?

Je ne sais pas vraiment, sinon que je pense que la régulation des émissions monétaires reste un point fort délicat, du moins dans un monde où les conditions de consommation, de production et d'échange peuvent changer fort rapidement, en fonction en particulier de l'état de l'opinion publique et de la confiance que la collectivité peut avoir dans le système dans lequel elle évolue. Et je n'ai même pas parlé ici des problèmes d'import-export, des actifs toxiques, du progrès technique, etc.

On peut cependant affirmer que certaines tendances lourdes doivent être combattues, comme celle du poids toujours grandissant, on peut même parler à cet effet de spoliation, de la sphère financière vis à vis de la sphère réelle, des revenus 'non gagnés' - suivant la terminologie de M. Allais -(et issus de la spéculation) vis à vis des 'revenus gagnés'.

Prenons, pour insister sur ce point un nouveau modèle, tout simple, un modèle de croissance homothétique.

Dans ce contexte, chaque secteur, chaque industrie, chaque entreprise croissent à la même vitesse SANS PROGRES TECHNIQUE, la masse monétaire croîtrait à la même vitesse, qu'elle soit émise par des banques privées ou par la banque centrale.(Oui, je sais, je suppose ici, pour le moment, que la vitesse de circulation de la monnaie est une constante, autre hypothèse -relativement crédible dans ce contexte-, mais là encore, ce n'est pas le problème).

La monnaie, simple voile monétaire?
Ce n'est que si cela se passait ici que la monnaie ne serait qu'un simple voile monétaire, sans importance réelle sur une économie qui ne serait que monétarisée. On pourrait quasiment s'en passer, sauf en comptabilité.
 
Mais, bien entendu, ce n'est pas ce que l'on constate, car la croissance n'est jamais homothétique.

On constate généralement:
a) la déformation des poids respectifs des secteurs
b) la déformation des prix relatifs
c) la déformation signalée au point b) est partiellement liée à l'évolution différente du progrès technique dans les différents secteurs.

Il faut cependant noter que:
d) en supposant qu'il n'y a pas de régression technique absolue dans un de ces secteurs (cela pourrait arriver dans le secteur agricole, du fait de mauvaises récoltes, mais le poids de ce secteur est si faible que cela n'expliquerait pas vraiment l'ampleur du phénomène) cette différence de progrès technique peut expliquer la modification des prix relatifs, mais pas une augmentation de la masse monétaire supérieure à la somme: taux (réel) de croissance plus taux d'inflation.
 
Mes seules explications vraiment 'innovantes' reposent donc dans ce qui va peut être aussi apparaître évident à certains, à savoir que de nouvelles 'rentes' se sont créées (rentes, ou revenus non gagnés) du fait:
e) des gains (ou pseudo-gains) boursiers, les indices, jusqu'à la crise de 2008, ayant cru en 25 ans 2 fois plus que l'économie réelle (d'où un glissement monétaire de la sphère réelle vers la sphère financière
f) des gains, ou un déséquilibre, dans l'immobilier, là encore les prix de l'immobilier ayant cru, comme si il y a avait régression technique (en fait les rentes foncières sont réapparues)
g) des déséquilibres, non permanents et très volatiles, dans le secteur énergétique (pétrolier et gazier), même si, en euros constants, sur les 20 dernières années je ne suis pas sûr que le prix relatif du pétrole ait beaucoup évolué.
 
Tout cela pour dire que les secteurs non productifs, ou non directement liés à la production, ont 'sucé' - ou 'siphonné' - la plus grande partie des émissions monétaires.

Qu'on appelle cette monnaie-argent de l'argent fictif, comme J.L. Mélenchon paraît-il, ou de l'argent réel, il est une des causes principales - je pense - du déséquilibre actuel.

Ce n'est donc pas le fait que les transactions financières sont devenues 1000 fois plus importantes que les transactions liées à l'économie 'réelle' que je critique ici (même si une taxe Tobin aurait ralenti ce phénomène, ce n'est pas cela l'important, d'après moi), mais le fait que la monnaie n'est pas un 'voile monétaire', comme le pensait Ricardo, Marx, et sans doute Milton Friedman, mais que c'est un véritable édredon qui a caché au 'petit peuple' - dont je suis - ce véritable hold-up de la sphère financière sur la sphère réelle.
 
Les solutions, s'il y en a, ne sont donc sûrement pas en remonétisant les 'actifs toxiques' - c'est à dire en validant le vol et les voleurs - comme semble le faire le G20, en renforçant le poids de notre DSK national, véritable fantoche plus ou moins consentant, à qui on fait sans doute un cadeau royal, ou présidentiel, pour 2012 (du moins le croit-il).
 
La seule solution serait:
1) de déclarer sans valeur les actifs toxiques: valeur zéro
2) de (re?)mettre la monnaie au service de l'économie réelle, en 'nationalisant effectivement la monnaie'.

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