Derrière les soubresauts de l'argent-monnaie, une catastrophe annoncée.

Non les mesures annoncées par le G20 n'y changeront rien. La monnaie n'est pas 'neutre', ni économiquement, ni idéologiquement. C'est bien parce que la monnaie n'est pas 'neutre', que ce n'est pas un simple 'voile', qu'il ne faut pas laisser aux intérêts spéculatifs et privés le soin d'émettre cette monnaie, potentiellement si perturbatrice.

Quatre questions se posent en effet à toute personne voulant à la fois comprendre et éventuellement réformer le système monétaire actuel:

1)Qui émet (ou 'crée') cette monnaie-argent?
2)Combien (quelle quantité) faut-il émettre?
3)Pourquoi (et pour qui) émet-on cette monnaie?
4)Qui contrôle (et régule) cette émission?


Je ne vais pas revenir sur la première question, car chacun sait, plus ou moins précisément, que le système monétaire fait intervenir à la fois la banque centrale (pour la monnaie fiduciaire – les billets – proprement dits) et les institutions financières, qu'elles soient banques (de second rang) proprement dit, ou bien intermédiaires financiers.

Les banques émettent essentiellement de la monnaie scripturale (au delà de leurs propres réserves en monnaie fiduciaire) – dans le cadre de certaines règles prudentielles peu contraignantes - (ce point fera l'objet d'autres billets).

Les autres institutions financières non bancaires agissent comme de simples intermédiaires financiers, en prêtant à certains agents économiques l'épargne – de plus ou moins long terme – réalisée par d'autres agents.

(Pour approfondir le sujet de ces émetteurs de monnaie, on pourra consulter divers sites, dont celui des 'faux-monnayeurs', ou de l'association 'Societalisme', la référence de base restant le livre de M. Allais, « L'impôt sur le Capital », pp. 176 a 209)

Je vais plutôt m'interroger ici sur les raisons des variations de la monnaie, en me limitant ici à ce qui est appelé agrégat monétaire M1, qui inclut billets (et pièces) en circulation et dépôts à vue (définition Banque de France, 1999).

Cette question contient donc les points 2 (Combien) et 3 (Pourquoi), je montrerai ensuite que le point 4, celui du contrôle et de la régulation, n'est pas vraiment traité par le G20, faute de s'être attaqué clairement – et non idéologiquement – aux questions 'Combien' et 'Pourquoi'.

Pourquoi des variations monétaires?

Cette question, souvent effleurée, mais rarement approfondie, peut s'écrire ainsi:

Pourquoi la masse monétaire en circulation a t-elle besoin d'être augmentée (ou diminuée) d'une période à l'autre?

Dit encore autrement, pourquoi le système économique pris dans sa globalité a t-il besoin de plus (ou de moins) de monnaie-argent que précédemment?

Ces questions sont évidemment indépendantes de l'agrégat monétaire choisi pour le raisonnement. J'ai pris ici M1, considéré traditionnellement comme correspondant à l'ensemble des moyens de paiement (fiduciaire et scripturaux), on aurait pu, dans un système où il n'y aurait que de la monnaie fiduciaire, se poser les mêmes questions.

Pour le lecteur pressé, je donne tout de suite des éléments de réponse, avant de justifier cette position un peu plus loin.

L'augmentation monétaire a servi essentiellement au secteur financier.

L'augmentation de la masse monétaire constatée en Europe – et en France – depuis une douzaine d'années (avant et après le passage à l'euro), et on pourrait faire le même raisonnement au niveau mondial – même si les chiffres sont plus délicats à commenter est liée au phénomène suivant.

Indépendamment de tout problème lié à l'inflation, l'essentiel de cette augmentation monétaire (en moyenne, inflation décomptée, de 7 à 9%, pour une croissance moyenne de 2,5%) est dû aux besoins de financement d'actifs financiers, en d'autres termes aux spéculations boursières.

Plus précisément, au lieu que la masse monétaire, censée être un simple 'voile monétaire' au service de l'économie dans son ensemble, joue ce rôle 'normal', cette augmentation a essentiellement profité au secteur financier, au détriment de la sphère de l'économie réelle. Les 'rentiers' et les 'spéculateurs' (ceux qui perçoivent des 'revenus non gagnés' dirait M. Allais) se sont enrichis au détriment des producteurs (entrepreneurs et 'travailleurs').

Deux chiffres sont éloquents pour prouver cette 'spoliation' de l'économie 'réelle' au profit de ce qu'il convient d'appeler les 'capitalistes', les hommes aux écus dépeints par Karl Marx dans le livre 1 du Capital.

a) L'agrégat monétaire M1 (l'ensemble des moyens de paiement 'à vue') est passé en France, en 10 ans, sur la période 1997 à 2006, de 26% à 44% du PIB. Si M1 était un simple voile monétaire, cet agrégat aurait du conserver les mêmes proportions par rapport à la production nationale. A moins, bien sûr, de supposer que la vitesse de circulation de la monnaie ait baissé dans les mêmes proportions, ce qui, jusqu'en début 2008 au moins, n'a pas été constaté.

b) L'évolution du cours de la Bourse (supposé résumée par l'évolution du CAC 40) avait cru sur les 15 dernières années deux fois plus vite que le PIB, avec de fortes évolutions il est vrai, après l'écroulement de la bulle Internet, puis les attentats du 11 septembre, puis d'autres crises encore. Mais si on regarde le niveau atteint le 2 mai 2007, 6000 points, cette remarque reste vraie en tendance.

Il n'est donc pas surprenant:
c) que le CAC 40 évolue actuellement entre 2600 et 3000 points,qui représentent une correction 'normale' si l'on estime, du moins, que la valeur boursière des entreprises devrait correspondre à leur valeur économique, telle qu'elle est représentée par l'évolution du PIB et des profits 'normaux' réalisés à cette occasion – profits 'normaux' censés pouvoir financer les investissements futurs. Sans croissance, aucun profit n'est 'normal', il ne devrait y en avoir aucun.

d) que ceux qui s'étaient enrichis indument, en captant à leur profit l'essentiel de la masse monétaire émise (ou 'créée') par le système bancaire – en contrepartie de leurs actifs 'financiers' (créances douteuses reposant en partie sur des actifs 'toxiques')- réclament à corps et à cris une rallonge monétaire à leur seul profit, cette rallonge ne pouvant passer, évidemment, que par les banques.

Deux solutions se présentent donc, récompenser les voleurs-spolieurs, ou aider les producteurs:

Face au hold-up commis pendant 15 ans – bien plus longtemps sans doute – par les spéculateurs dont la part dans la richesse nationale (revenus non gagnés pourtant) n'est pas loin d'avoir doublé, on peut décider de valider cet hold-up.
C'est apparemment ce que le G20 a décidé.

Rappelons au sujet du 'hold-up' des spéculateurs que cette bascule de l'augmentation monétaire à leur seul bénéfice a amené une quasi stagnation du pouvoir d'achat des 'travailleurs' sur les dernières années, et à un sur-endettement de l'ensemble de l'économie (sur-endettement de la part des 'capitalistes' qui n'est apparu tel qu'après le début de la crise des sub-primes, et de la part des travailleurs, qui gageaient cet endettement sur des revenus futurs, qu'ils n'auront sans doute pas du fait de la dépression actuelle).

Une autre solution, la seule socialement correcte, serait bien sûr de considérer que les pertes (virtuelles) des capitalistes doivent rester des pertes, et de décréter que les créances douteuses accordées par les banques ne valent plus rien.

Comme mesure complémentaire, en dehors de la 'nationalisation de la monnaie' (ce qui n'exige pas nécessairement celle des banques), c'est à dire de la reprise en main directe par l'Etat de toute émission monétaire (ce n'est évidemment pas la 'planche à billets' qui a causé – au moins pour la plus grande part – cette augmentation monétaire favorisant les spéculateurs, par l'intermédiaire d'un système financier où chacun, petit ou grand, croyait pouvoir devenir riche indument) il apparaît essentiel de transformer l'ensemble des dépôts à vue en monnaie fiduciaire, tout en interdisant dorénavant aux banques d'accorder des crédits non entièrement couverts par cette nouvelle monnaie fiduciaire.

Cela ne changerait pas la masse monétaire actuelle, M1, mais cela interdirait dorénavant aux banques commerciales – redevenues de simples intermédiaires financiers – d'émettre sans contrôle ('ex nihilo' diraient certains) de la nouvelle monnaie, indépendamment des besoins réels de l'économie réelle.

Et s'il faut créer de la monnaie nouvelle, cette monnaie doit aller directement aux entreprises et aux ménages, en aucun cas aux spéculateurs et aux banques( en dehors de la restriction précédente près: les banques peuvent et doivent agir en tant qu'intermédiaires financiers, en prêtant à des agents économiques l'épargne déjà réalisée par d'autres agents).

Mais, encore une fois, je ne crois pas, hélas, que le G20 prenne ce type de décisions. Il préfère sans doute amuser la galerie en déclarant faire la chasse aux paradis fiscaux. C'est sans doute une bonne chose, mais très marginale par rapport à ce qu'il faut faire. L'argent doit aller à l'économie réelle, pas à l'économie financière, ce n'est pas en taxant un peu plus les spéculateurs que le problème de fond sera traité.

Annexe: un petit modèle explicatif des variations monétaires 'hors spéculation'
(voir billet ci-joint, le billet actuel étant déjà fort long).

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